Transports intelligents : la communication avant l’autonomie

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Transports intelligents : la communication avant l’autonomie

Les transports intelligents font partie intégrante des réflexions sur la ville de demain. Mais comment assurer la communication entre deux véhicules dans un environnement où les réseaux sont multiples et les standards divers ? Quelles sont les limites en matière de sécurité des données et à quelle échelle temporelle les systèmes de véhicules connectés verront-ils le jour ? Jean-Marie Bonnin, chercheur à Télécom Bretagne, nous éclaire sur l’état de l’art en matière de transports intelligents. Ce spécialiste des réseaux a par ailleurs été choisi comme référent pédagogique pour le MOOC « Challenges et enjeux de la mobilité 2.0 » de l’Institut Mines-Télécom qui a débuté le 11 janvier 2016.

 

« Je ne suis pas certain que mes enfants apprendront à conduire un jour ». Pourtant, Jean-Marie Bonnin n’est pas contre la voiture. Bien au contraire. Depuis quelques années, ce chercheur en sciences informatiques de Télécom Bretagne travaille sur les systèmes de transports intelligents (ITS). En particulier, il s’intéresse au développement de terminaux mobiles embarqués dans les véhicules et capables de supporter des usages multiples via des réseaux différents : Wi-Fi, 2G, 3G, 4G, etc. Si Jean-Marie Bonnin doute que les générations futures apprendront à conduire, c’est parce qu’il perçoit les véhicules autonomes comme un axe de la grande mutation actuelle des transports. Une transformation si importante qu’elle fait d’ailleurs l’objet du MOOC « Challenges et enjeux de la mobilité 2.0 » qui a débuté le 11 janvier 2016 (lire « Le + » en fin d’article).

Pour Jean-Marie Bonnin cependant, les transports autonomes ne pourront pas se développer sans la partie communication. Or, les projets actuels tels que la Google Car, mettant en avant des capacités de deep learning avancées et donc des intelligences artificielles très performantes, n’intègrent pas encore suffisamment cette dimension. « Ce sont des véhicules qui doivent acquérir et traiter jusqu’à 1 giga de données par seconde sur leur environnement » assure-t-il ainsi. Or de telles puissances d’acquisition sur chaque véhicule auraient un coût global très élevé. Pour lui, la solution viendra alors de la capacité des véhicules à communiquer entre eux, et à « prendre des décisions de façon collaborative » pour diminuer le poids du traitement de données.

 

Les véhicules autonomes, tels la Google Car, se basent sur le traitement massif d'informations tirées de leur environnement. Crédits : Michael Shick.

Les véhicules autonomes, tels la Google Car, se basent sur le traitement massif d’informations tirées de leur environnement. Crédits : Michael Shick.

 

Véhicules connectés

Depuis 2002, Jean-Marie Bonnin et ses collègues du département Réseaux, sécurité et multimédia travaillent sur l’amélioration des performances des terminaux mobiles. De tels objets embarqués existent déjà sur les flottes de véhicules haut de gamme, avec une carte SIM pour le GPS, une pour l’antivol, une autre pour l’agence de location ou l’entreprise propriétaire du véhicule par exemple, etc. « Il serait plus efficace de mutualiser l’ensemble des moyens de communications dans un seul boitier spécialisé » affirme le chercheur.

L’enjeu ? Rendre transparents les déplacements du véhicule aux services et aux applications embarquées. Lors des trajets, le changement d’accès réseau ne doit plus être un problème. Pour cela, des tunnels informatiques rattachent le terminal à un point de l’Internet. Le routeur mobile embarqué gère par quels canaux passent les paquets de données, et peut assurer la continuité lorsque le véhicule sort d’une zone de réseau 4G et entre dans un réseau Wi-Fi. Forts de leur savoir-faire dans ce domaine, les chercheurs de Télécom Bretagne ont ainsi participé avec Mines-Paris Tech et Inria au développement d’une start-up appelée YoGoKo. Celle-ci commercialise déjà un service de connectivité qui se matérialise par un boîtier embarqué compatible avec les standards de communication des ITS, et notamment avec le protocole IPv6.

À l’heure actuelle, des projets pilotes sont déployés sur des territoires pour tester en grandeur nature des services des transports intelligents coopératifs. C’est le cas par exemple du projet Scoop@f, mis en place sur cinq zones françaises parmi lesquelles la Bretagne ou l’autoroute Paris-Strasbourg. « Ce sont plusieurs milliers de véhicules équipés de boitiers communicants qui vont être vendus à des clients et testés » nous explique Jean-Marie Bonnin. Le projet implique notamment Télécom ParisTech et Télécom Bretagne sur le plan académique, avec des industriels comme PSA Peugeot Citroën et Renault. Il a été présenté à l’ITS World Congress de Bordeaux en octobre dernier où il a rencontré un franc succès.

Dans la même lignée, le projet Corridor entre Francfort, Rotterdam et Vienne est également un des grands essais de réseau de transports intelligents à l’échelle européenne. « Pour ces deux déploiements, il s’agit majoritairement de tester les communications de proximité utilisant le Wi-Fi véhiculaire G5, et leur sécurisation » résume Jean-Marie Bonnin, tout en précisant la volonté de travailler sur les communications de type Internet et la complémentarité des moyens d’accès.

Sécurité et floating car data

La sécurisation des données reste en effet un aspect crucial à gérer avant d’assister à une massification du déploiement des terminaux dans les véhicules. La difficulté tient de certains paradoxes sur lesquels il est nécessaire pour les gouvernements d’avoir un positionnement clair. Une illustration de ce problème serait un véhicule freinant sur autoroute, et dont le ralentissement serait communiqué aux autres voitures. « S’agit-il d’un risque d’accident ? Est-ce un plaisantin qui s’amuse à perturber le trafic ? » alerte Jean-Marie Bonnin. Le cas échéant il faut pouvoir remonter à son identité. Mais cela permettrait de coupler très aisément n’importe quel individu à ses déplacements, constituant par là une atteinte à la vie privée.

Une autre question soulevée vient de la mise à disposition des données produites par les véhicules (floating car data) pour des services et de leurs droits de propriété. En France, la législation n’a pas encore évolué. À l’international, des tendances émergent, bien qu’encore mal définies. « Aux Etats-Unis, des décisions de justice penchent plutôt du côté de l’utilisateur » selon Jean-Marie Bonnin. Les constructeurs de véhicules sont cependant en désaccord, estimant que la connaissance des produits qu’ils développent les rend plus à même de maîtriser l’accès aux données et la sécurité de celles-ci. Sur ce plan, les prochaines années pourraient être déterminantes.

 

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Les transports intelligents devront pouvoir allier protection des données et sécurité du trafic routier.

 

Nouveaux services à l’horizon

Car l’industrie automobile se saisit de plus en plus du sujet des transports intelligents coopératifs. Outre la bataille de la sécurité des données — qui ne touche d’ailleurs pas que les constructeurs automobiles et les transports intelligents — se joue également celle des nouveaux services. Avec l’arrivée de l’Internet à bord des véhicules, c’est un nouveau marché qui pourrait s’ouvrir : celui des applications. « Des architectures ouvertes vers Internet pourraient intégrer les pratiques observées dans le monde des smartphones » confie ainsi Jean-Marie Bonnin.

Le chercheur tempère cependant : « c’est compliqué car cela relève du développement logiciel ». Un domaine qui n’est pas forcément dans le cœur de compétences des industriels de l’automobile. Si certains constructeurs veulent prendre le contrôle de la partie applicative, ils se heurtent à la concurrence des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) qui cherchent déjà à entrer dans les véhicules à travers les smartphones. « La sécurisation des systèmes d’exploitation est déjà un sujet difficile pour les gros acteurs de l’Internet qui disposent pourtant de milliers d’ingénieurs dont le développement logiciel est la compétence première » contextualise Jean-Marie Bonnin.

Les transports intelligents offrent donc de nombreuses opportunités, mais le secteur reste encore émergent. « La maturation est en cours » confirme le scientifique de Télécom Bretagne. Pour Jean-Marie Bonnin, la généralisation aux véhicules devrait survenir « dans deux à trois ans ». L’essor des voitures connectées et autonomes est en tout cas fortement soutenu par le ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie. Son secrétariat d’État aux transports y voit là une opportunité d’augmenter la sécurité sur les routes et de diminuer le nombre de décès. Des voitures communicantes, intelligentes et autonomes pourraient sensiblement réduire les risques d’accident, en fluidifiant la circulation et en avertissant les conducteurs des dangers. Des véhicules qui nous alerteraient en temps réel et en amont des zones de route en train de geler ou des embouteillages en formation ? Des perspectives désormais ouvertes grâce aux systèmes de transports intelligents.

 

En savoir + sur YoGoKo, start-up bretonne dans les systèmes de transports intelligents
En savoir + sur les véhicules connectés

 

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Un MOOC pour les systèmes de transports intelligents (ITS)

Le MOOC « Challenges et enjeux de la mobilité 2.0 » se déroule sur 6 semaines, du 11 janvier au 12 février 2016. Les inscriptions sont possibles jusqu’au 8 février 2016. Créé sous l’impulsion du secrétariat d’État aux transports, il propose une approche horizontale des transports intelligents. Le MOOC aborde ainsi des sujets comme les technologies déployées pour la communication inter-véhiculaire, la gestion des données, la télébillétique ou encore les systèmes autonomes.

Ce cours a été développé par Télécom Évolution, organisme de formation continue des écoles Télécom de l’Institut Mines-Télécom. Sa supervision pédagogique a été assurée par Jean-Marie Bonnin, enseignant-chercheur à Télécom Bretagne.

S’inscrire au MOOC « Challenges et enjeux de la mobilité 2.0

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