Sébastien Bigo : des records à haut débit

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80 lasers de couleurs différentes permettent de démultiplier la capacité d'un système de fibres optiques dans cette expérience conduite par Sébastien Bigo.

Poussé par l’envie de porter plus loin les performances des fibres optiques, Sébastien Bigo a révolutionné les télécommunications. Ses travaux menés au Nokia Bell Labs comptent aujourd’hui près de 30 records mondiaux en termes de débit et de distance pour des communications optiques. Parmi eux : la première communication à plus de 10 terabit par seconde. Les réseaux optiques cohérents qu’il a contribué à développer sont aujourd’hui utilisés au quotidien pour transmettre les données numériques. Pour l’ensemble de ses travaux, il recevait le 21 novembre dernier le Grand Prix IMT-Académie des sciences lors de la séance solennelle sous la coupole de l’Institut de France.

 

Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur les communications optiques ?

Sébastien Bigo : Un peu par erreur. Ce qui m’intéressait lorsque j’étais en prépa, c’était l’électronique. Le jour de mes concours j’ai oublié de rendre une feuille intercalaire sur laquelle il y avait quelques calculs. J’ai raté d’un point l’admission à l’école d’électronique que je voulais — et que j’aurais très certainement eue en rendant cette feuille. En revanche, ma copie m’a permis d’entrer à SupOtique, qui recrutait sur le même concours mais avec un barème un peu différent. C’est assez drôle : si j’avais rendu cette feuille intercalaire, j’aurais fait de l’électronique !

L’optique vous intéressait-elle tout de même ?

SB : J’avais une assez mauvaise image des télécoms optiques. À l’époque, le travail des opticiens consistait simplement à trouver la bonne lentille pour bien injecter la lumière dans une fibre. Ça ne m’excitait pas vraiment… Lorsque j’ai contacté Alcatel dans ma recherche d’un sujet de thèse, je leur ai demandé s’ils en avaient un sur quelque chose de plus poussé. Ce qui m’intéressait c’était le traitement optique du signal : ce que la lumière peut faire sur elle-même. Il se trouve qu’ils avaient un sujet là-dessus.

Et de là, comment avez-vous commencé vos travaux dans le domaine des télécoms ? 

SB : En faisant du traitement optique du signal, j’en suis venu à travailler sur des impulsions qui se propagent sans se déformer : les solitons. Grâce à ces ondes, j’ai pu faire la première régénération tout optique d’un signal, qui permet de propager un signal optique plus loin sans le convertir en signal électrique. Cela m’a permis de réaliser la première démonstration d’une communication transatlantique entièrement optique. Par la suite, les solitons ont été supplantés par les technologies WDM — des impulsions multicolores produites par autant de faisceaux lasers qu’il y a de couleurs — qui permettent de bien meilleurs débits. Là je me suis vraiment lancé dans le métier des télécoms et j’ai commencé une suite de 29 records mondiaux en termes de débit de transmission.

Que représentent ces records pour vous ?  

SB : La compétition pour les meilleurs débits est mondiale. C’est toujours gratifiant de voir qu’on arrive devant les autres. C’est cela qui rend le jeu intéressant pour moi : savoir que je me bats contre des gens qui essaient toujours de faire mieux, en réinventant les règles à chaque fois. Et le jeu a d’autant plus de valeur que je ne gagne pas à tous les coups. Et puis la quête de records donne lieu à des innovations. Autour des années 2000, nous avons mis au point la fibre TeraLight qui a été un énorme succès industriel. Elle nous a permis de continuer à réaliser de très beaux records par la suite.

Certains records sont-ils plus importants que d’autres ?

SB : Le premier déjà, lorsque j’ai réussi la première transmission sur une distance transatlantique à 20 gigabit par seconde, avec une régénération périodique optique. Et puis il y a des records qui ont une valeur symbolique. Lorsque j’ai réussi pour la première fois à atteindre un débit de 10 térabit par seconde par exemple. Personne n’y était parvenu auparavant, et pourtant nous avions révélé le secret quelques temps avant lorsque nous avions réussi 5 térabit par seconde. D’ailleurs cette fois-là, nous avions terminé les mesures à 7 h du matin le jour où commençait la conférence pour annoncer le record. J‘ai failli rater mon avion à cause de cela. La concurrence est telle que nous soumettons les résultats au tout dernier moment.

Est-ce cette quête de l’augmentation des débits qui vous a porté vers le développement des réseaux optiques cohérents ?   

SB : J’ai commencé à travailler sur les réseaux optiques cohérents en 2006, au moment où nous nous rendions compte que nous arrivions au bout de ce que nous savions faire. Les records nous avaient permis d’affiner indépendamment des éléments que personne n’avait mis ensemble. En adaptant nos découvertes précédentes sur la modulation, sur les récepteurs, le traitement du signal, la propagation et la polarisation, nous avons créé un système optique vraiment au-dessus des autres, qui est devenu le nouveau standard de l’industrie. Cela a donné lieu à un nouveau record d’ailleurs, avec un produit du débit par la distance de propagation supérieur à 100 pétabit par seconde kilomètre [1 pétabit = 1000 térabit]. Pour l’obtenir, nous avons transmis 15,5 terabits par seconde sur 7 200 kilomètres. Mais c’est surtout un exemple parfait de ce qu’est un système : une association d’éléments qui ensemble valent bien plus que la somme de chacun.

Les réseaux otiques cohérents, utilisés chaque jour par tous :

 

Quelles sont vos perspectives à présent ?

SB : Aujourd’hui je travaille dans les réseaux optiques, qui sont en quelque sorte des systèmes de systèmes. Sur un réseau à l’échelle européenne, je me préoccupe de quel chemin emprunter pour que le transport de données soit le moins cher et le plus efficace possible. Je suis persuadé que c’est là que se joueront les grands changements dans les années à venir. Il devient difficile d’augmenter la capacité des fibres car nous nous approchons de la limite de Shannon. Donc pour continuer à transmettre des informations, il faut réfléchir à comment optimiser le remplissage des canaux de communication. Il s’agit de transformer les réseaux pour introduire de l’intelligence, et simplifier la vie des opérateurs.

 

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Biographie de Sébastien Bigo

 

Sébastien BigoSébastien Bigo, 47 ans, directeur du groupe de recherche Réseaux IP et Optiques aux Nokia Bell Labs, appartient à la grande école française de l’optique appliquée aux télécommunications. Il a été et continue d’être, à travers de nombreuses innovations, l’un des pionniers mondiaux de la transmission à haut débit sur fibre.

Les sujets traités et présentés par Sébastien Bigo dans 300 publications de journaux et conférences, et 42 brevets, constituent un nombre impressionnant de contributions aux divers aspects du domaine scientifique qu’il a profondément marqué. Ces résultats multiples ont été cités plus de 8000 fois et ont permis de réaliser 29 démonstrations expérimentales qui ont toutes constitué un record du monde en termes de débit ou distance de transmission.

Les innovations qui en sont à l’origine ont généré une activité économique significative. Notamment, la fibre Teralight, que Sébastien Bigo a contribué à développer, a été déployée sur plusieurs millions de kilomètres. Les réseaux cohérents sont empruntés par des milliards d’utilisateurs chaque semaine. Ce sont là certainement deux des plus belles réussites françaises dans les technologies des communications.

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