Santé : pourquoi certains objets connectés sont un succès et d’autres font un flop

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objets connectés

Christine Balagué, Institut Mines-Télécom Business School (ex Télécom École de Management)

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[dropcap]E[/dropcap]n portant nuit et jour la bague connectée Oura à son doigt, chacun peut savoir si son sommeil est de qualité. Grâce à un patch connecté fixé sur le bras, les personnes diabétiques peuvent connaître leur taux de sucre dans le sang sans avoir à piquer le bout de leur doigt. Ces deux objets ont reçu, le 9 février, l’un des trophées de la santé mobile remis à l’IUT Paris-Diderot et décernés par un jury d’experts, attestant de leur réelle valeur ajoutée pour l’utilisateur.

Ces derniers temps, les fabricants de montres, bracelets, lunettes et autres objets connectés promettent beaucoup. Trop, à en juger par le décalage entre l’explosion de l’offre, et la place très modeste qu’occupent ces appareils dans notre quotidien. La plupart font office de gadgets, achetés sur un coup de tête et vite oubliés au fond d’un tiroir. L’heure n’est pas encore venue, où ces appareils nous seront aussi familiers et vitaux que notre smartphone.

Tandis que les objets connectés relevant du bien-être peinent à convaincre de leur utilité, d’autres appartenant à la catégorie des dispositifs médicaux ont su se rendre indispensables auprès des patients. Ils servent principalement à des fins de diagnostic, de prévention ou de traitement d’une maladie, tels les lecteurs de glycémie dans le cas du diabète. Et amènent à s’interroger sur la manière dont leurs utilisateurs se les approprient.

Plus d’objets connectés que d’humains sur notre planète

Pour la première fois, en 2017, le nombre d’objets connectés a dépassé le nombre d’humains sur notre planète. Il existe 8,4 milliards de ces appareils qui captent, stockent, traitent et transmettent des données, selon la société de conseil en technologies Gartner. Et d’après ses prévisions, il en existera plus de 20 milliards à la fin de l’année 2020.

Lecteur de glycémie connecté Freestyle Libre

Sur le créneau de la santé et du bien-être, la progression annoncée est tout aussi fulgurante. Le nombre d’appareils devrait passer de 73 millions dans le monde en 2016 à 161 millions en 2020, selon la société d’études Grand View Research.

Mais qu’en pensent les utilisateurs ? Ils restent encore… dubitatifs. Même si 73 % des Français pensent que les objets connectés peuvent être utiles pour leur santé, selon le sondage réalisé par Opinion Way en mars 2017, ils ne sont que 35 % à percevoir l’intérêt de tels produits pour suivre leur état de santé ; 11 % seulement déclarent posséder une montre connectée.

Des prix élevés, un risque de dépendance, des mesures manquant de fiabilité

Quelles sont donc les explications au manque d’enthousiasme des utilisateurs ? Les deux associations regroupant les principaux fabricants d’objets connectés, l’Acsel et le Carrefour de l’Internet des objets, ont publié en 2017 un Observatoire de la vie connectée. Leur étude fait ressortir plusieurs freins vis-à-vis de ces appareils : des prix trop élevés, la crainte de voir ses données utilisées sans un consentement éclairé, un risque de dépendance, des problèmes de fiabilité de la mesure et de sécurité.

Au-delà de ces inquiétudes, il semble que les fabricants aient cru, un peu vite, que ces objets révolutionnaires feraient rêver leurs concitoyens. Résultat : certains consommateurs les ont « adoptés », mais très peu se les sont « appropriés ».

Il existe une différence majeure entre les deux, que les fabricants commencent seulement à découvrir. Un produit ou un service est « adopté » par le consommateur quand celui-ci se décide à l’essayer, ou à l’acheter. L’appropriation, elle, implique un processus plus long. Elle est effective lorsque l’individu a fait de la technologie un objet de sa vie quotidienne.

Un objet physique, doublé d’un service pour l’individu

S’approprier un objet connecté, c’est en effet s’approprier l’une après l’autre ses quatre spécificités.

Il s’agit d’abord de s’approprier le produit lui-même, dans sa dimension physique. Une montre connectée, par exemple, est d’abord une montre, c’est-à-dire un objet qui s’accroche au poignet et donne l’heure.

La bague connectée Oura enregistre la qualité du sommeil

Ensuite, il faut s’approprier le service fourni par l’objet, sa dimension intangible – bien souvent via une application mobile. Ce service consiste à présenter les données collectées sous forme de courbes ou de graphiques et généralement, à proposer une action ou un programme de coaching adapté pour améliorer sa santé. Par exemple, le pèse-personne connecté va transmettre les mesures du poids et de la part de masse grasse à une appli. Laquelle va formuler des recommandations pour nous aider à les stabiliser.

L’objet est lui-même connecté à un ou plusieurs autres objets. Il transmet des données à un smartphone, à d’autres objets connectés ou à une plateforme de données. Cette dimension dépasse l’objet lui-même et doit, elle aussi, être intégrée par l’individu dans son quotidien.

Enfin, l’objet offre la possibilité de communiquer avec d’autres personnes, en partageant par exemple le nombre de pas qu’on a réalisés dans la journée avec un groupe d’amis qui relèvent le même défi. Cette connectivité sociale, d’humain à humain, ne devient familière qu’au cours du processus d’appropriation.

Quatre étapes avant de s’approprier l’objet connecté

Avant d’intégrer un objet connecté à notre quotidien, nous passons sans le savoir par quatre étapes. Les études menées ces dernières années dans notre équipe au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), auprès de personnes possédant de tels appareils, ont en effet permis de caractériser chacune d’entre elles.

La première phase est l’appropriation symbolique. Elle se passe soit dans le rayon du magasin avant l’achat, soit la première fois que l’individu voit l’objet connecté – si c’est un cadeau. Les interactions sont principalement sensorielles : elles passent par la vue, le toucher, l’ouïe. Pour certains, on constate un effet dit « waouh » : cette réaction de l’utilisateur traduit son étonnement voire sa fascination envers un objet perçu comme « intelligent ». Dans cette phase, il projette sur l’objet et le service lié une valeur imaginée.

Ensuite, l’utilisateur peut passer à la deuxième étape, nommée « exploration ». Celle-ci repose sur des manipulations physiques de l’objet afin de découvrir l’appareil et son application ; des interactions suscitant un processus cognitif de l’utilisateur pour en comprendre le fonctionnement ; et des interactions d’objet à objet, l’objet interagissant avec le téléphone mobile pour transférer les données collectées et permettre à l’application de fournir le service. Au cours de cette phase, l’usage permet la création d’une valeur réelle aux yeux de l’utilisateur.

Mesurer sa fréquence cardiaque, pour muscler son cœur

La troisième phase de l’appropriation va définir la fonction de l’objet pour son utilisateur. Chacun utilise en effet l’objet pour une fonction spécifique, parmi toutes celles proposées, comme mesurer son activité physique, sa fréquence cardiaque et son poids. Cette phase s’accompagne d’une coproduction de valeur entre l’objet et l’utilisateur : c’est l’individu qui définit et paramètre la fonction qu’il vise. Par exemple, telle personne qui veut muscler son cœur va décider de suivre jour par jour sa fréquence cardiaque.

Enfin, la dernière phase nommée « stabilisation » se caractérise par le fait que l’utilisateur intègre l’objet dans ses pratiques quotidiennes. Ses interactions avec l’appareil deviennent alors passives. Par exemple, il porte un bracelet connecté mais l’oublie, tandis que l’objet, lui, capte des données en continu et les envoie automatiquement à l’application mobile sur le smartphone de l’utilisateur. Cette phase génère également des réactions affectives à l’origine d’un lien relationnel entre l’individu et l’objet.

Lors de cette phase, la valeur perçue de l’objet est « transformative », c’est-à-dire que grâce à lui, l’individu a transformé ses habitudes. Par exemple il a désormais le réflexe de descendre deux stations de métro avant son lieu de travail pour marcher davantage, ou il a cessé de prendre l’ascenseur pour lui préférer les escaliers.

Des usages différents de ceux prévus par les fabricants

Ainsi, c’est en étudiant davantage le phénomène d’appropriation et en plaçant l’utilisateur au centre de leur stratégie que les fabricants pourront anticiper les usages des objets connectés, et donc, leur donner de la valeur. Dans le monde hyperconnecté d’aujourd’hui, il est paradoxal de constater à quel point les fabricants se sont « déconnectés » des utilisateurs. Cette distance contribue à un faible usage des objets connectés, voire à leur abandon au bout d’un certain temps.

La plupart des entreprises intègrent pourtant, au cours du développement des objets, des « scénarios d’utilisation » ou use cases. Mais ces stratégies consistent à penser à la place de l’utilisateur quel sera son comportement. Or il s’avère que dans la vie réelle, les individus, dans le cadre d’objets connectés à la maison, ne les utilisent pas comme les entreprises l’ont imaginé ! C’est le constat fait en 2015 par les chercheurs américains Donna Hoffman et Thomas Novak.

The ConversationPour que les individus se servent vraiment de leurs objets connectés, les fabricants doivent développer des technologies responsables, à savoir sécurisées, fiables, respectueuses de la vie privée, tant dans la collecte des données que dans les algorithmes permettant leur traitement. Surtout, ces appareils doivent acquérir une réelle valeur aux yeux de l’utilisateur. Pour cela, les entreprises doivent encore apprendre à étudier son comportement dans son véritable contexte d’utilisation, et la manière dont il s’approprie l’objet.

Christine Balagué, Professeur, titulaire de la chaire objets connectés et réseaux sociaux, Institut Mines-Télécom Business School (ex Télécom École de Management)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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