La philosophie des sciences et techniques au service de l’écologie politique

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Fabrice Flipo, philosophe des sciences et techniques et chercheur à Télécom École de Management, a fait de l’écologie politique, du développement durable et de la philosophie sociale ses fers de lance depuis près de 20 ans. À travers ses recherches fondamentales qui nourrissent ses enseignements plus techniques, il essaie de produire une objectivité sur les courants politiques actuels, sur l’impact écologique du numérique et plus largement sur la compréhension du monde.

 

Pour Fabrice Flipo, la philosophie des sciences et techniques peut se définir comme ce qui a trait à la constitution de la vérité dans la société. « En tant que philosophe des sciences et techniques, je m’intéresse à la constitution des savoirs, des savoir-faire et des grandes orientations des choix techniques et technologiques, et leurs rapports avec les choix de société », explique-t-il. Il est donc nécessaire de comprendre les techniques, l’organisation de la société et le rôle de la politique dans l’interaction des grands enjeux mondiaux.

Cette méthodologie, le chercheur la partage auprès des étudiants de Télécom École de Management dans ses cours sur les risques technologiques et environnementaux majeurs ou dans le cours d’introduction au développement durable. Il analyse avec les étudiants tout l’éco-système autour des controverses technologiques et environnementales majeures (idées, parties prenantes, acteurs, institutions…) et leur donne l’expertise pour se repérer en milieu conflictuel et controversé.

 

La recherche fondamentale pour comprendre les enjeux du monde

C’est pour cela que Fabrice Flipo a articulé toutes ses recherches autour de l’écologie politique depuis près de 20 ans. Apparue en France dans les années 1960, l’écologie politique aspire à contester profondément l’organisation sociale et économique française, et à reconsidérer les relations entre l’homme et son environnement. Elle se nourrit d’influences de divers mouvements, tels que le féminisme, le tiers-mondisme, le pacifisme ou encore l’autogestion, entre autres.

Plus de 40 ans après, Fabrice Flipo cherche à éclairer et éclaircir ce courant politique en examinant les controverses qu’il a suscitées de par son émergence auprès des autres courants politiques, principalement le libéralisme, le socialisme et le conservatisme. « J’essaie de comprendre ce qu’est l’écologie politique, ses enjeux, non seulement comme parti politique à part entière, mais également comme mouvement social », explique le chercheur.

Pour ce faire, Fabrice Flipo procède de deux manières. La première est un travail classique en théorie politique, consistant à analyser les arguments et les débats produits par le mouvement et les enjeux qu’il porte. Cet ancrage en théorie politique est adossé à un travail continu avec le Laboratoire de Changement Social et Politique de l’Université Paris 7 Diderot et d’autres laboratoires externes dont c’est la spécialité. La seconde consiste à collaborer de manière interdisciplinaire avec des ingénieurs, sociologues et politistes pour détailler le cas du rapport des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) avec l’écologie. Il intègre des réseaux liés à l’écologie pour étoffer ses collaborations, travaille auprès d’ONG, écrit et intervient régulièrement dans des médias spécialisés ou nationaux. Pour les besoins de certaines de ses études, il s’appuie également sur de nombreux travaux issus d’autres disciplines, telles que la sociologie, l’histoire ou les sciences politiques.

 

L’impact sociétal de l’écologie politique

« Aujourd’hui, l’écologie politique est un courant minoritaire confronté à des majorités libérales, socialistes et conservatrices », analyse le chercheur. De fait, malgré une certaine prise de conscience écologique (CoP 21, développement d’une presse spécialisée, transition énergétique des entreprises, transformation « verte » des modes de vie…), ce courant n’influence pas massivement l’organisation des sociétés humaines industrialisées ; il se doit donc de convaincre. Cette position génère une nécessité d’argumentation en situation de minorité dans le spectre politique. « Peut-on associer l’écologie politique au libéralisme, au socialisme ou même au conservatisme ? » s’interroge-t-il, « Même si elle ne prend pied dans aucun des courants existants, chacun essaie de la ramener à soi ».

L’enjeu ne concerne pas que la nature. Une crise majeure des écosystèmes pourrait ouvrir la porte à un régime autoritaire cherchant à défendre les bases vitales d’une société contre d’autres sociétés. Cet éco-fascisme ne protégerait pas la nature (et ne serait donc pas un « écologisme ») mais les ressources, et permettrait à une société d’en affronter une autre. L’écologie politique se range donc très largement du côté de l’émancipation.

Afin de s’éloigner des extrêmes, « l’enjeu est, à travers la recherche fondamentale, de comprendre le monde et les idées politiques et de dépasser des débats qui sont basés sur des malentendus ou une approche trop passionnée, » explique Fabrice Flipo. « Le but est de produire une certaine objectivité sur ces courants politiques – que ce soit l’écologisme, le libéralisme, le socialisme – les idées se parlant entre elles, s’opposant et se définissant les unes par rapport aux autres. »

Mettant en cause une modernité définie par la croissance et une conception cartésienne de la nature, l’étude de l’écologie politique a conduit Fabrice Flipo vers des questions d’anthropologie philosophique de l’émancipation.

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Analyser l’impact écologique du numérique sur le terrain

Avec l’écologisme politique, se pose la question de l’écologie des infrastructures. Fabrice Flipo a donc entamé un travail de terrain avec des sociologues sur un aspect globalement peu travaillé du numérique : l’impact écologique de la dématérialisation des activités humaines, de la substitution des fonctions et du « 100 % numérique ».

En effet, certains estiment qu’il faudrait utiliser moins de technologies numériques, car la fabrication des appareils est consommatrice d’énergie et de matières premières, et leur accroissement est productrice des déchets électroniques polluants ; d’autres défendent le passage au tout numérique qui permettrait de décentraliser les sociétés et de les rendre plus écologiques.

À travers son projet de recherche sur le ré-emploi des téléphones portables (avec l’idée que le recyclage freine l’obsolescence programmée), Fabrice Flipo cherche à mettre en avant les solutions existantes sur le terrain qui sont trop peu utilisées, la priorité étant donnée à la nouveauté et au renouvellement incessant.[/box]

La philosophie pour appuyer les débats d’idées

« La modernité se définit comme étant seule porteuse de l’émancipation (la capacité à penser), de la maîtrise de la nature, de la technique, de la démocratie. L’écologie dit que ce n’est peut-être pas si simple », explique le chercheur. « J’essaie de proposer, dans mes différents livres, une anthropologie philosophique qui tienne compte de la question écologique et de ce que les études post-coloniales ou post-modernes peuvent proposer comme perspectives », avance-t-il.

Les débats sociétaux en cours prouvent que les idées écologistes sont d’actualité, que les travaux du chercheur dans ce sens sont pertinents, et que l’intérêt pour ces sujets grandit. Au regard de la littérature, il semblerait qu’il y ait une prise de conscience des citoyens ainsi que des solutions disponibles (la voiture électrique, les panneaux solaires,…), mais peu ou pas de passages à l’acte. Les contradictions importantes entre le mot d’ordre majoritaire qui défend le « produire plus et consommer plus » et le mot d’ordre minoritaire qui promeut le « consommer vert » à l’intérieur même du discours public ne permettent pas aux citoyens de forger leur opinion.

« Ainsi, l’écologie politique pourrait progresser grâce à un débat ouvert autour de l’écologie », conclut Fabrice Flipo, « impliquant politiques, scientifiques, journalistes et spécialistes. Ses idées doivent être culturellement proches des citoyens, afin qu’ils puissent faire des liens entre leurs modes de vie habituels et la dimension écologique. » Une forte communication publique, à laquelle contribue le chercheur par son travail, ainsi que l’appropriation des questionnements, des idées et de leur compréhension par les citoyens permettraient d’enclencher un mouvement sociétal profond vers un véritable écologisme politique.

[author title= »L’écologie politique : le fil rouge d’une carrière de recherche » image= »https://imtech.imt.fr/wp-content/uploads/2018/02/Fabrice-Flipo_format_en_hauteur.jpg »] Philosophe des sciences et techniques, Fabrice Flipo est maître de conférences HDR (Habilité à Diriger des Recherches) en philosophie sociale et politique, spécialiste de l’écologisme et de la modernité. Il enseigne le développement durable, les risques environnementaux et technologiques majeurs à Télécom École de Management, et il est également membre du Laboratoire de Changement Social et Politique de l’Université Paris 7 Diderot. Ses recherches portent sur l’écologie politique, l’anthropologie philosophique de l’émancipation et l’écologie des infrastructures numériques.

Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont : Réenchanter le monde. Politique et vérité (Le Croquant, 2017), Les grandes idées politiques contemporaines (Bréal, 2017), Écologie : combien de divisions (Le Croquant, 2015), Pour une philosophie politique écologiste (Textuel, 2014), Nature et politique (Amsterdam, 2014), et La face cachée du numérique (L’Echappée, 2013). [/author]

Rédaction : Umaps, Moriane Morellec

Retrouvez ici tous les articles de la série « Carnets de labos »

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