Jumeaux numériques en santé, mirage ou réalité ?

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Les jumeaux numériques en santé promettent une médecine personnalisée et prédictive. Où en est leur développement ?

Les jumeaux numériques, déjà bien implantés dans le domaine de l’industrie, prennent une place de plus en plus importante dans celui de la santé. Leur champ d’application potentiel est très vaste, tant au plan diagnostic que thérapeutique, mais ils relèvent encore essentiellement de la recherche.

 

Le secteur de la santé est en pleine transition numérique, avec pour objectif de développer une médecine des 4P : personnalisée, prédictive, préventive et participative. La simulation numérique est un des outils-clés de cette mutation. Elle correspond à la modélisation d’un objet, d’un processus, ou d’un phénomène physique sur lequel différentes hypothèses peuvent être testées. Aujourd’hui un patient est soigné quand il tombe malade, sur la base d’études cliniques regroupant quelques dizaines à quelques milliers de personnes dans le meilleur des cas, sans réelle prise en compte de ses caractéristiques propres. Existera-t-il un jour des jumeaux numériques de chaque personne, qui permettront de prédire le développement de maladies aiguës ou chroniques en fonction du profil génétique et des facteurs environnementaux, et d’anticiper la réponse à différents traitements ?

« Il y a beaucoup d’espoir et de rêves placés derrière cette idée » reconnaît Stéphane Avril, chercheur à Mines Saint-Étienne. « Actuellement les métiers de médecin ou chirurgien sont exercés comme un art, avec une expérience forte acquise au cours des années. Le principe est qu’un programme puisse cumuler l’expérience d’un millier de médecins, mais la réalité est qu’il y a encore un énorme travail de recherche nécessaire pour mettre en équation et intégrer des savoirs et savoir-faire non mathématiques, qui recouvrent des domaines très divers comme l’immunologie ou le système cardio-vasculaire. » Pour l’instant il n’est donc pas question de simuler un être humain complet. « Mais dans certains domaines spécifiques le jumeau numérique apporte une très bonne prédiction, meilleure que celle d’un praticien » remarque Stéphane Avril.

De l’imagerie au bloc opératoire

Par exemple, la biomécanique est un secteur de recherche qui se prête très bien à la simulation numérique. Les travaux de recherche de Stéphane Avril portent sur les anévrismes de l’aorte. Des jumeaux numériques 3D de la région touchée sont développés à partir d’images scanner. Cette approche a d’ailleurs conduit à la création d’une start-up, Predisurge, dont le logiciel permet de fabriquer des endoprothèses spécifiques pour chaque patient.  « La FDA [agence de validation américaine des médicaments et dispositifs médicaux] encourage l’utilisation de la simulation numérique pour la validation de la mise sur le marché de prothèses, aussi bien orthopédiques que vasculaires » détaille le chercheur stéphanois.

La simulation numérique permet aussi au chirurgien de préparer son intervention, car le logiciel va prédire le déploiement in situ de ces endoprothèses, leur effet, et simuler les complications peropératoires qui pourraient survenir. « Cette technique est en cours d’évaluation et de validation, mais son impact sur la réduction du temps opératoire et des complications semble très prometteur » souligne Stéphane Avril. L’équipe de Mines Saint-Étienne travaille actuellement sur une meilleure compréhension des propriétés de la paroi aortique, à partir d’IRM en quatre dimensions et de tests mécaniques réalisés sur les tissus anévrismaux retirés au cours de la pose des prothèses. Le principe est de faire valider un jumeau numérique développé sur la base des images d’IRM 4D, qui pourra prédire l’évolution d’un anévrisme – rupture ou stabilité – et donc la nécessité d’une opération.

À lire sur I’MTech : Un jumeau numérique de l’aorte contre la rupture d’anévrisme

Catalin Fetita, chercheur à Télécom SudParis, utilise également la simulation numérique dans le domaine de l’imagerie, mais des voies aériennes cette fois-ci, conjointement à une analyse du parenchyme pulmonaire. L’objectif de son travail est d’obtenir des biomarqueurs à partir d’images de scanner pour définir de façon plus précise un phénotype pathologique dans des pathologies respiratoires comme l’asthme, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ou les pneumopathies interstitielles idiopathiques (PIIs). La modélisation permet d’estimer le comportement fonctionnel d’un organe à partir de sa morphologie. « La simulation numérique est utilisée pour identifier le type de dysfonction et sa localisation précise, la quantifier, prédire l’évolution de la pathologie, et optimiser le protocole thérapeutique » explique Catalin Fetita.

À lire sur I’MTech : La modélisation 3D pour mieux maîtriser l’asthme

Des freins éthiques et techniques

La problématique de la sécurisation des données et de leur anonymisation est au cœur des débats éthiques et législatifs. Et pour l’instant les chercheurs ont beaucoup de mal à accéder aux bases de données pour « nourrir » leurs programmes. « Pour obtenir des images de scanner, nous devons créer une relation de confiance avec un radiologue d’un hôpital, l’intéresser à notre travail et réussir à l’impliquer. Car pour que le modèle soit pertinent nous avons besoin qu’il labellise précisément les images. » D’autant plus que l’analyse des scanners peut varier d’un radiologue à l’autre. « L’idéal serait d’avoir à disposition des bases d’images relues par un panel d’experts avec un consensus sur leur interprétation » souligne Catalin Fetita.

Le chercheur pointe aussi le manque de personnel technique. Les modèles sont généralement développés dans le cadre de thèses, et aboutissent rarement à un produit fini. « Nous avons besoin dans l’équipe d’un ingénieur de recherche ou de développement pour ne pas perdre le savoir-faire acquis, assurer le transfert technologique, mais aussi effectuer un suivi avec  des mises à jour. » En effet, les techniques d’imagerie évoluent et les algorithmes peuvent rencontrer des difficultés à traiter les nouvelles images présentant parfois des caractéristiques différentes.

Selon Stéphane Avril, une nouvelle spécialité ingénierie et santé aux compétences mixtes est nécessaire. « Les métiers de médecins et de chirurgiens vont se transformer avec ces outils, mais pour l’instant c’est encore un peu de la science-fiction pour les praticiens. La transformation va se faire prudemment, et avec une certaine inertie, car le cursus médical dure plus de 10 ans. » Pour lui, les outils qui intègreront le côté systémique de la physiopathologie dans les jumeaux numériques ne seront pas opérationnels avant une dizaine d’années : « comme pour les véhicules autonomes, la technologie existe, mais il y encore pas mal d’étapes avant qu’elle n’arrive dans les hôpitaux. »

 

Article rédigé par Sarah Balfagon, pour I’MTech.

 

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