Tatouages éphémères pour l’exploration cérébrale

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Une équipe de chercheurs en bioélectronique de Mines Saint-Étienne a développé un nouveau type d’électrodes d’électroencéphalogramme à partir de la technique des tatouages éphémères. Aussi performantes mais beaucoup plus confortables que les électrodes classiques, elles permettent des enregistrements prolongés de l’activité cérébrale sur plusieurs jours.

 

La célèbre technique des décalcomanies, popularisée par la marque de chewing-gums Malabar dans les années 70, est récemment revenue à la mode avec les tatouages éphémères. Mais son utilisation n’est pas limitée à l’amusement des petits et des grands. Un nouveau débouché vient de s’ouvrir avec la création d’électrodes tatouées éphémères (temporary tatoo electrodes ou TTE en anglais) destinées à enregistrer les signaux électrophysiologiques.

D’abord développée pour capter les signaux cardiaques (électrocardiogramme, ECG) et musculaires (électromyogramme, EMG), la technique s’est perfectionnée pour atteindre le Graal de la bioélectronique : le cerveau. « Les signaux électroencéphalographiques (EEG) sont les plus difficiles à enregistrer car les amplitudes sont plus faibles et le bruit de fond plus important ; c’était donc un véritable challenge pour nous de créer des dispositifs électroniques épidermiques souples aussi performants que les électrodes standard », explique Esma Ismailova, chercheuse en biolélectronique à Mines Saint-Étienne.

De Pontedera à Saint-Étienne

Le procédé d’impression des électrodes tatouées a été mis au point par une équipe italienne, menée par Francisco Greco, à l’Institut italien de technologie de Pontedera. L’étape suivante d’application préclinique s’est déroulée au sein du laboratoire stéphanois. Laura Ferrari, la doctorante ayant fait sa thèse sur les TTE avec Francisco Greco, a choisi d’effectuer son post-doctorat avec Esma Ismailova en raison de son expérience dans le domaine de l’électronique portable connectée. En 2015, l’équipe de Mines Saint-Étienne avait en effet mis au point un textile connecté dérivant de la technique d’impression sur les kimonos, destiné à enregistrer un électrocardiogramme sur une personne en mouvement, avec moins d’artefacts que les électrodes ECG classiques.

Les capteurs des électrodes tatouées, comme les électrodes textiles, sont constitués de polymères semi-conducteurs. Ces composés organiques, ayant fait l’objet du prix Nobel de chimie en 2000, se comportent comme des transistors et offrent de nouvelles possibilités dans le domaine de l’électronique de surface. Le polymère conducteur utilisé est appelé PEDOT:PSS. Il est mêlé à de l’encre et projeté sur un papier vendu dans le commerce pour les tatouages éphémères, grâce à une imprimante à jet d’encre classique. La couche support est retirée au moment de l’application. Une simple éponge mouillée dissout la couche soluble constituée de cellulose, et le tatouage est transféré sur la peau. Le procédé de microfabrication des TTE est adapté à une production à grande échelle à bas coût, grâce aux matériaux et techniques utilisés.

À lire sur I’MTech : PEDOT:PSS : roi des polymères conducteurs

Esma Ismailova et son équipe ont beaucoup travaillé sur l’assemblage et l’interconnexion entre les électrodes et les dispositifs électroniques d’enregistrement du signal. Un prolongement terminé par un clip en plastique plat et fin a été fabriqué par impression 3D et intégré dans le décalcomanie. Le clip permet de fixer un câble au tatouage : « il a fallu régler la problématique de passage du signal pour transférer les données. Notre objectif est maintenant de développer une électronique embarquée à côté des électrodes, une carte microfabriquée laminée sur le patch pour collecter les informations et les mémoriser, ou les transmettre par l’intermédiaire d’un téléphone portable », détaille la chercheuse stéphanoise.

a : la structure multicouche d’une TTE permet le transfert du film supérieur sur lequel l’électrode est imprimée
b : vue éclatée d’une TTE avec la connexion plate intégrée
c : TTE tranférée sur le scalp au niveau occipital
d : gros plan d’une TTE 12h après l’application avec la repousse des cheveux

Des électrodes plus confortables pour les patients…

Les électrodes sèches constituées d’un film de polymère de l’ordre du micron, épousent parfaitement la surface de la peau grâce à leur flexibilité. Cette interface permet de se passer du gel indispensable aux électrodes classiques, qui se dessèche au bout de quelques heures et rend les électrodes inopérantes. Le transfert doit se faire sur une peau rasée, mais une étude a montré que la repousse des poils ou des cheveux au travers du film ne les empêche pas d’être efficaces. Elles sont donc utilisables pendant 2 à 3 jours, à condition de ne pas être mouillées, car le principe des tatouages temporaires est d’être dégradés par les lavages à l’eau savonneuse. Des recherches sont en cours pour remplacer le support de transfert habituel par un matériau hydrofuge plus résistant, permettant ainsi d’allonger leur durée de vie.

Pour Esma Ismailova, cette technologie est un grand pas en avant, aussi bien dans le domaine de la recherche clinique que du soin apporté aux patients : « ces nouvelles électrodes souples, étirables et très fines sont ergonomiques, confortables, quasiment imperceptibles, et donc beaucoup plus acceptables pour les patients, notamment les enfants ou les personnes âgées, pour qui certains examens peuvent être générateurs de stress. » En effet, pour réaliser un EEG le patient doit habituellement enfiler un casque attaché sous le menton, constitué d’électrodes sur lesquelles le manipulateur dépose du gel.

… et plus performantes pour les médecins

Un autre avantage de ces électrodes éphémères tatouées est leur compatibilité avec la magnétoencéphalographie (MEG). De par leur composition entièrement organique et ne contenant donc aucun métal, elles ne perturbent pas le champ magnétique généré par l’appareil, ne créent pas d’artefacts, et peuvent donc être utilisées pour réaliser des EEG couplés à des MEG. Ces deux techniques d’exploration de l’activité neuronale sont complémentaires et affinent les informations sur le point de départ de crises d’épilepsie, le bilan fonctionnel de certaines tumeurs avant leur ablation, ou encore le suivi de maladies neurodégénératives.

L’évaluation clinique des TTE dans le domaine de la neurophysiologie a été faite en collaboration avec Jean-Michel Badier de l’Institut de neurosciences des systèmes de l’Université d’Aix-Marseille. Cette étude a récemment été publiée dans le journal Nature, et a confirmé leur performance similaire aux électrodes classiques pour l’EEG standard, et supérieure pour la MEG, car elles ne produisent pas de zones d’ombre.

« Nous avons fait une preuve de concept, maintenant nous essayons de développer un dispositif utilisable à domicile. Nous prévoyons une étude avec des enfants épileptiques ou autistes, pour qui le confort et l’acceptabilité sont très importants », explique Esma Ismailova. Ces électrodes tatouées, comme les autres technologies connectées, vont générer un nombre important de données. Pour la chercheuse, « il est indispensable d’organiser une collaboration avec des chercheurs capables de traiter ces données par le biais d’algorithmes spécifiques. C’est une nouvelle ère de technologies portables, intelligentes, destinées à la médecine personnalisée et préventive, notamment grâce à la détection précoce d’anomalies. »

Sarah Balfagon.

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