Quelles seront nos interactions avec la réalité virtuelle ?

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Nos manières d’interagir avec les technologies changent au fil du temps et s’adaptent au contexte, avec de nouvelles contraintes ou possibilités. Jan Gugenheimer est chercheur à Télécom Paris et s’intéresse particulièrement aux interactions entre les humains et les machines, et leurs évolutions. Dans cet entretien, il nous présente les questionnements qui entourent l’avenir de nos interactions avec la réalité virtuelle.

 

Quelles différences entre réalité virtuelle, mixte et augmentée ?

Jan Gugenheimer : La définition la plus souvent citée présente un spectre avec à l’extrême gauche le réel tel qu’on le perçoit, et à l’extrême droite le virtuel. Ce qui se trouve au milieu, c’est la réalité mixte. Nous pouvons donc varier sur ce spectre, plus nous laissons de perceptions du réel, plus nous sommes au début de ce spectre, et plus nous enlevons de réel pour ajouter des informations artificielles, plus nous avançons vers la réalité virtuelle. Et la réalité augmentée est juste un point sur ce spectre. Dans l’ensemble, je préfère appeler ça l’informatique spatiale, c’est le paradigme sous-jacent que les informations ne sont plus limitées à un espace carré.

Comment étudier les interactions humains-machines ?

JG : Notre approche est d’étudier ce qui se passe lorsque cette technologie va sortir du laboratoire. Les ordinateurs sont déjà passés par là : en laboratoire c’étaient de grosses machines fixes et cela a beaucoup changé aujourd’hui. Les smartphones sont dans notre poche tout le temps, et nous pouvons voir ce qui a changé : l’input et l’interface. Pour donner des informations au téléphone (input), je n’utilise plus de clavier, ça a dû s’adapter au contexte. Le retour utilisateur (feedback) change aussi : un ordinateur ne vibrerait pas, ça n’aurait pas de sens. Mais le téléphone en a besoin. Ces choses changent, car le contexte change. Ce que nous faisons c’est alors explorer ces interactions, ces évolutions et le design de ces technologies aussi.

Il faut donc imaginer de nouvelles utilisations de la réalité virtuelle ?

JG : Oui et c’est là où notre travail devient délicat, parce que nous devons prédire et c’est difficile. Lorsque nous pensons au premier smartphone, le IBM Simon, personne n’aurait pu dire ce que ça allait devenir, la forme que l’objet prendrait, les scénarios d’utilisation… C’est la même chose avec la réalité virtuelle. Nous regardons le casque et nous pensons « c’est notre tout premier smartphone ! », que va-t-il devenir et comment l’utiliserons-nous dans notre quotidien ?

Auriez-vous un exemple concret de ces interactions ?

JG : Par exemple, lorsque nous utilisons un casque de réalité virtuelle, nous faisons des gestes dans tous les sens. Mais imaginez que vous utilisiez ce casque dans un bus, ou dans les transports. Nous ne pouvons pas frapper les gens autour de nous, n’est-ce pas ? Donc, il faut adapter notre manière de donner les informations à la technologie. Nous proposons d’utiliser les doigts pour contrôler nos mouvements virtuels et notre regard. Il faut ensuite étudier ce qui fonctionne le mieux, à quel point cela contrôle les mouvements, la taille que cela prendra ou encore si l’utilisateur perçoit bien ses mouvements. C’est ici un aspect très concret mais il y a des aspects psychologiques, des questions d’immersion dans la réalité virtuelle, de fatigue de l’utilisateur…

Y a-t-il des risques de mauvaises utilisations ?

JG : En général, ce sont des questions de design, car le design de la technologie va favoriser une certaine utilisation. Pour les médias actuels, il y a des sujets de recherche sur ce que nous appelons des dark design. Un designer va créer une interface en prenant en compte des aspects psychologiques pour pousser à utiliser l’application d’une certaine manière, et vous n’en êtes probablement pas conscient. Par exemple si vous utilisez Twitter, vous allez « scroller » sur un menu infini, et cela nous pousse à consommer.

Certains voient alors la technologie comme négative, mais c’est la manière dont elle est conçue et mise en place qui en fait ce qu’elle est. Nous pourrions imaginer un Twitter différent, signalant par exemple « vous êtes connecté depuis longtemps, faites une pause ». Alors nous nous demandons à quoi cela va ressembler pour les technologies d’informatique spatiale. Quel est l’équivalent du scroll infini pour la réalité virtuelle ? Puis, nous cherchons des moyens de briser ce cercle et de se protéger de ces effets psychologiques. Il y a cette idée que l’on peut mieux faire avec ces nouvelles technologies, car elles sont encore en construction.

Faudrait-il des normes pour contraindre à créer des designs éthiquement corrects ?

JG : C’est une grande question, et nous n’avons pas encore de réponse. Devrions-nous faire un règlement ? Mettre en place des principes directeurs ? Des normes ? De la sensibilisation ? C’est un sujet ouvert très intéressant : comment créer des designs plus sains ? Mais ces dark design peuvent aussi être utilisés dans un sens positif, par exemple pour limiter les comportements toxiques en ligne, et il est alors difficile de penser à des normes. Je pense que la transparence est essentielle, que chaque personne utilisant ces techniques doit le faire savoir en précisant par exemple « cette application utilise des techniques persuasives pour vous faire consommer plus ». Cela pourrait être une solution, mais il reste encore beaucoup de questions ouvertes sur le sujet.

La réalité virtuelle peut-elle impacter notre comportement dans la durée ?

JG : Mel Slater, un chercheur de l’université de Barcelone, est un pionnier de ce type de recherche. Pour renforcer le sentiment d’empathie par exemple, un homme peut vivre en réalité virtuelle une expérience de harcèlement à travers le point de vue d’une femme. Cela offre une nouvelle perspective, une autre compréhension. Et nous savons que l’exposition à ce genre d’expérience peut modifier notre comportement en dehors de la réalité virtuelle. Il y a un potentiel, éventuellement pour nous rendre moins sexistes, moins racistes, mais cela entraîne aussi son lot de questions. Et si quelqu’un l’utilisait pour exactement l’opposé ? Ce sont des problématiques délicates qui impliquent de la psychologie, des aspects de design et des questions sur le rôle que nous, scientifiques et designers, nous avons dans le développement de ces technologies. Et je pense que nous devrions réfléchir aux utilisations potentiellement négatives des technologies auxquelles nous donnons vie.

 

Tiphaine Claveau pour I’MTech

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