Écologie radicale, intégrale, sociale… Comprendre les mots des candidats Verts

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écologie radicale

Fabrice Flipo, Institut Mines-Télécom Business School

Ecologie sociale, décroissance, écologie radicale ou radicalité environnementale : de Yannick Jadot à Sandrine Rousseau, Éric Piolle ou Delphine Batho, ces termes ont été utilisés à l’envi par les candidats à la primaire écologiste. Ils demandent cependant à être expliqués pour pouvoir être compris des non-initiés.

Une première précision s’impose. Les mots, dans l’espace politique, sont généralement utilisés de manière performative, en fonction de l’effet de mobilisation qu’ils peuvent avoir sur les publics visés, et notamment sur les relais d’opinion.

Ce sont là des éléments de base de communication politique, qui ne sont nullement spécifiques aux Verts. Quand les candidats de droite se présentent comme « libres » (Valérie Pécresse) ou « conservateurs » (François Fillon), ce n’est pas pour faire de l’histoire des idées, mais dans le but de se différencier de leurs rivaux et de mobiliser dans différents publics.

L’exercice n’est pas aisé : le chercheur Manuel Cervera-Marzal suggère ainsi que la gauche radicale doit aujourd’hui arriver à assembler la France des quartiers et de l’immigration, les urbains progressistes, une partie de la France périphérique incarnée par les « gilets jaunes » et le salariat du secteur public, ce qui paraît évidemment plus difficile que de rassembler la classe ouvrière, comme c’était son but dans les années 1960.

Une histoire des idées au long terme

Nous observons cependant que les mots utilisés dans les programmes des candidats écologistes recouvrent souvent une longue histoire des idées politiques. Par exemple, « Écologie sociale » est généralement rapprochée de l’écomunicipalisme de l’étasunien Murray Bookchin (1921-2006), qui est considéré comme le fondateur de ce courant. Issu d’une famille ayant participé à la révolution russe de 1905 et contrainte de fuir en raison de la répression, cet intellectuel a d’abord fréquenté les cercles trotskystes. Puis il évolue vers l’écologisme au cours des années 1950-1960, sans jamais perdre de vue la perspective autogestionnaire.

Par « écologisme », on entendra un corpus cohérent d’idées, de références et d’actions, notamment militantes, constituant un tout se différenciant d’autres idéologies politiques (socialisme, libéralisme, conservatisme, etc.)

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Dans les années 1980, Murray théorise un modèle de société reposant sur une démocratie directe mise en œuvre au niveau des communes, lesquelles seraient organisées dans une fédération. Ces thèses ont été reprises sur le tard par le théoricien du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), au sein d’un mouvement qui a abandonné l’orientation marxiste-léniniste pour une approche fondée sur le vivre-ensemble, accordant une place prépondérante à l’apprentissage en commun et aux femmes.

Quand on regarde le programme des candidats, aucun ne peut se réclamer de l’écologie sociale au sens de Murray Bookchin. Mais Sandrine Rousseau est la candidate qui s’en rapproche le plus, avec de nombreuses mesures de démocratie locale ou directe (tirage au sort), tandis que Yannick Jadot est celui qui s’en trouve le plus éloigné, avec un programme orienté vers l’action de gouvernement (investissement, etc.) plus que vers la participation.

« Radicalité environnementale »

Sandrine Rousseau n’est pas en reste avec l’action : la « radicalité environnementale » est l’un des piliers de son programme. Mais elle s’appuie sur des forces moins consensuelles et moins majoritaires que celles sur lesquelles mise Yannick Jadot : écocide, droits de la nature, semaine de 4 jours, revenu d’existence, etc.

Le volet économique à proprement parler (quelles industries, quels emplois, quel positionnement de la France dans la mondialisation, etc.) est très peu présent, ou en tout cas peu détaillé. Les revendications autour de l’égalité sont par contre très appuyées.

Yannick Jadot lui, se positionne dans la mesure, plus que dans la rupture : il propose d’accompagner les acteurs qui risquent de perdre au change avec un programme trop radical, et ce faisant, s’oppose à un changement trop brutal, trop radical donc, par exemple un tournant progressif en agriculture.

Sandrine Rousseau est dans une position plus conflictuelle, d’affrontement portant l’idée de force à faire plier. Elle attirera probablement à elle une partie des mouvements sociaux et de leurs soutiens, tandis que ceux qui pensent qu’un tel rapport de forces a peu de chances de l’emporter suivront Yannick Jadot, avec le risque d’une politique des petits pas, parce que plus « réaliste », au sens d’une acceptation plus prononcée de l’ordre établi.

Une dimension spirituelle

« L’écologie intégrale » revendiquée par Delphine Batho renvoie à une dimension spirituelle et en l’occurrence chrétienne, bien qu’elle ne soit pas souvent présentée de cette manière par la candidate. C’est notamment ce qui explique son compagnonnage avec le philosophe Dominique Bourg, également chrétien. L’une des sources d’inspiration est donc Laudato Si du pape François. Pour autant, elle se revendique « 100 % laïque », et cela est cohérent avec la tradition écologiste.

Car si en effet les convictions religieuses sont présentes dans le mouvement écologiste, de longue date, les militants ont toujours eu le souci de séparer strictement le domaine spirituel du domaine séculier, à rebours de leurs adversaires qui les accusent volontiers de dogmatisme, d’irrationalisme ou d’idolâtrie de la Terre.

L’un des facteurs explicatifs est que la science est très présente dans la construction des positions écologistes, en particulier les sciences de la nature, même si l’institution scientifique fait dans le même temps l’objet d’une critique parfois virulente, dans la mesure où elle a partie liée à certains choix technopolitiques (OGM, nucléaire, etc.). D’une manière générale la laïcité écologiste est plutôt ouverte, admettant une grande diversité de cultes, dans les limites du sécularisme des fonctions de gouvernement.

Décroissance

Delphine Batho est également la seule candidate à revendiquer nettement une politique de décroissance. Ce concept dont Yannick Jadot a conscience qu’il a été pensé comme un « mot-obus », à l’origine, indique aussi une direction précise pour l’économie, à rebours de tout ce qui se fait jusqu’ici : une décroissance du PIB.

L’idée court dans le mouvement écologiste depuis les origines puisque la croissance zéro était l’un des sujets débattus au Sommet de l’Environnement à Stockholm en 1972 qui s’était accompagné du premier contre-sommet associatif de l’histoire, bien avant l’altermondialisme. Il était alors question de « zégisme », contraction de « zero economic growth » (ZEG).

La Première ministre indienne de l’époque, Indira Gandhi, s’était élevée contre cette perspective qu’elle jugeait malthusienne, au sens où cela impliquait que les pauvres devaient renoncer au développement.

Parler de décroissance dans un contexte où les élites ne cessent de parler de relance de la croissance est peu consensuel. En cela cependant Delphine Batho énonce l’incompatibilité entre croissance et droits de la nature. Et l’idée fait son chemin. Le polytechnicien Jean‑Marc Jancovici porte ce discours avec un fort succès d’audience, convaincu que croissance et Accord de Paris (stabilisation de la température planétaire à 1,5 °C) sont incompatibles.

Jean-Marc Jancovici

Sur le fond, il se rapproche beaucoup de Jean‑Luc Mélenchon, comme cela a souvent été souligné : rôle important de l’État, dimension sociale marquée (revalorisation des salaires, sécurisation des parcours professionnels lors des transitions, etc.), appui sur les forces associatives et militantes, objectifs écologiques élevés (neutralité carbone dès 2045). Piolle rappelle d’ailleurs qu’il a soutenu le député de Marseille en 2017.

Et Éric Piolle ? Son programme ne comporte pas de référence claire aux points cardinaux de l’écologie politique, ce qui indique peut-être une volonté de banaliser cette étiquette.

Le choix des termes est délicat, pour un leader d’opinion, quel qu’il soit. Les travaux de Chantal Mouffe et d’Ernesto Laclau ont renouvelé l’analyse de ce point, en mettant l’accent sur la capacité des mots à agréger des aspirations dissemblables ou autre contraire provoquer la répulsion. L’écologie intégrale est ainsi un terme repris à droite, en partie, voire à l’extrême-droite, bien qu’une écologie d’extrême droite reste une sorte d’incohérence, puisque ce courant est ancré dans une politique de puissance, issue de la peur de l’Autre.

Deux stratégies s’opposent, sur ce point : soit chercher à récupérer un signifiant populaire pour l’investir de ses propres significations (ainsi, le « populisme de gauche » réinvestissant les concepts de nation ou de sécurité, à l’instar d’Éric Piolle dans une certaine mesure), ou au contraire chercher à se différencier absolument, en n’utilisant que des mots que l’adversaire n’utilise pas.The Conversation

Fabrice Flipo, Professeur en philosophie sociale et politique, épistémologie et histoire des sciences et techniques, Institut Mines-Télécom Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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